Musique sacrée

Modale ?  Qu’est-ce à dire ?… Que les mélodies dites « grégoriennes » obéissent non seulement aux deux modes classiques utilisés dans la musique moderne – mode majeur et mode mineur – mais aussi aux modes construits sur les autres degrés de la gamme: modes de ré, de mi, fa, sol et si, avec leurs accords propres, qui donnent aux mélodies leur coloration si originale ; et ceci sans altération de la gamme choisie ni rythme prédéfini. Celui-ci reste libre, véritable respiration de la phrase musicale qui exprime le Verbe.

Introduction

Qui ne saurait évoquer sans une amère nostalgie les voûtes sonores des anciennes abbatiales, des cathédrales sublimes, sous lesquelles résonnait jour et nuit l’Adoration musicale de l’Eglise en prière, Eglise consciente de ses faiblesses, mais remplie d’espérance, voix sonores, infatigables, qui portaient jusqu’au ciel leur supplication poignante, la fervente louange de la  foi sincère…?

Imaginons le moine pieux, qui, depuis son adolescence, avait grandi dans l’ambiance fraternelle du cloître: instruit des langues sacrées, assidu à l’office. Son chant, avec grâce et  facilité épousait les neumes [1], les cadences, les accents, de la mélodie gravée sur le vieil antiphonaire.[2] Son milieu vital ? La Parole de Dieu, éternelle et toujours neuve, colorée par l’harmonie modale évocatrice des sentiments les plus délicats de la piété filiale.  Citoyen du Royaume du Christ par tout son « homme intérieur »,  il respirait dans la beauté et la vérité, délivré de toutes les préoccupations serviles de ce monde…. Le cloître ? discipline austère, mais salubre, qui maîtrisait les sursauts de ce vieil homme qu’il fallait mortifier pour la résurrection de l’Homme Nouveau engendré d’En Haut par le saint Baptême. Au-dessus de ses angoisses et scrupules, quelle sécurité, quelle paix, dans la liturgie des heures du jour, des semaines, des saisons, pénitence du carême, exultations de Pâques; de la Pentecôte, jusqu’à l’immuable bonheur de la Sainte Trinité ! Alors que l’automne vieillissait, dans le crépuscule irisé de la Toussaint, l’ombre de la mort  s’évanouissait devant la cité céleste évoquée par les grandes hymnes des vêpres et des matines; elles faisaient défiler à ses yeux la Vierge, les Apôtres, les Martyrs …Dès les  premières froidures, l’Avent rappelait la fidélité  historique de Dieu qui, tout au long des siècles, avait répondu à l’appel des prophètes et envoyé comme Rédempteur de toute chair son propre Fils qui, bientôt, reviendra comme Juge de son Eglise et des Nations, lui, le  Roi de l’Univers.  Pour hâter ce  glorieux retour,  les nuits de l’hiver, résonnaient du chant  des psaumes, après le solennel invitatoire, leçons et  répons, tout au long des veilles.

« Heureux le serviteur fidèle et prudent, que son maître trouvera vigilant… »

Les abbayes, construites en pierre de taille, voulaient demeurer jusqu’à la fin des temps… Six mille moines à Cluny, se relayaient pour assurer la « Laus perennis », la louange perpétuelle… De même à Saint Maurice en Valais.  Après l’exode de Saint Bruno quittant Reims pour les austères solitudes  de la Chartreuse, les profondes vallées des Alpes retentirent du chant sacré, ébranlant les échos des montagnes. Ferveur de l’amour de Dieu, rayonnement de la foi intelligente, descendirent avec les torrents et les rivières jusqu’aux remparts des cités. La chrétienté se fortifiait, malgré la menace des Sarrasins. Enfin, le Royaume de Dieu  allait surgir, selon l’idéal  du psalmiste :

 « La Vérité germera de la terre, et des cieux se penchera la Justice » ! …

Cette longue persévérance de l’Office Divin !…  Depuis les ermites intrépides dans leur combat contre les Enfers, solitaires de l’Egypte antique, jusqu’aux monastères de la brumeuse Bretagne; depuis Antoine et Paul, Grégoire de Nysse, Augustin de Cantorbéry, jusqu’à Bède  et Patrick, de Saint Anselme à Dom Guéranger… Cet effort, quinze  fois séculaire, a-t-il abouti ?… Grand schisme au début du second millénaire… Echec retentissant des croisades sous le cimeterre sanglant… Mercédaires et Trinitaires rachètent plusieurs centaines de milliers d’esclaves  chrétiens tombés sous la tyrannie de l’Islam… Grand scandale de la papauté disloquée, puni par la peste d’Occident… Tous ces malheurs  vont-ils  museler les  adorateurs ? Les stalles, les chapitres, les grands réfectoires abandonnés, les clochers muets ?… Plus personne sous les croisées d’ogives de Saint Michel de la mer, derrière les murailles, branlantes aujourd’hui, couvertes de lierre vorace, de Villers, Vauclair, Bonrepos, du Lys, de La Noé, Vallombreuse, Thoronnet… Désertes, dévastées, des centaines de ruines désolées sur la terre fleurie, généreuse, bénie de la Fille aînée de l’Eglise… Comment est-ildonc  advenu, cet immense écroulement de la  prière  ?

Taedium vitae, ennui mortel de la cellule solitaire, froideur du silence monacal, insupportable célibat: le chant peut-il s’exhaler des gorges serrées par la tristesse et l’angoisse ? Factices ces communautés de moines derrière leurs clôtures ?…  De moniales sous leur voile ? Furent-elles satisfaites les aspirations du coeur profond…?  Pourquoi a-t-on séparé ce que Dieu avait uni, dès le principe de sa Création ?  Le mur de l’adultère, en pierres de taille, plus haut que les tours de Chartres, de Cologne, de Bourges, d’Amiens… construit par Satan au soir du péché d’origine, a brisé le flux de la grâce divine

Les Cathédrales subsistent, lointain mémorial, témoins sans voix de la ferveur chrétienne disparue. En badauds curieux les touristes, pendant leurs congés payés,  en  font le tour avec leurs jumelles et leurs appareils photographiques. Ils toisent la majesté  des colonnes, les croisées d’ogives, ils circulent d’un autel à l’autre, admirent – peut-être – les messages abscons sculptés dans la pierre par des mains si habiles qu’elles furent guidées par le Saint-Esprit… ces visages souriants ou graves des Anges et des Saints mutilés ici et là par le crétinisme révolutionnaire… Un guide récite quelques leçons d’histoire… Il évoque une  époque révolue: l’athéisme démocratique a balayé ces vieilles choses :  « Les  hérétiques, pionniers des droits de l’homme ont protesté contre la papauté dominatrice, ils ont remplacé le voeu d’obéissance par le libre examen, ils ont  lu dans la  Bible la religion de l’homme qui doit trouver son identité et sa dignité dans l’autonomie de l’individu républicain. L’idéal des maçons a balayé l’inutile piété des moines:  nous sommes tellement plus évolués que les serfs du Moyen Age !… »

Alors, que penser ? L’Amour de Dieu victorieux de la chair, la Charité de l’Eglise vivante n’auraient donc porté qu’un fruit éphémère pourri par la renaissance du paganisme, disqualifié par  la dérision de Voltaire, dévoré par l’avidité sacrilège des pouvoirs temporels ?

La foi qui éclaire toute l’Ecriture  nous l’assure: « Toute chair verra le Salut de Dieu »…. « Que le pécheur pèche encore, que l’homme souillé se souille encore,  que le juste se justifie encore, que le saint se sanctifie encore »… L’histoire, engagée dans la  mauvaise voie du bien et du mal, opère une sélection nécessaire. « Voici que mon retour est proche, j’apporte avec moi le salaire que je vais payer à chacun, selon les talents qu’il aura gagnés… »

Il viendra Celui qui l’a promis. Il prononcera le Jugement des Nations. Il ouvrira les intelligences pour que les derniers fils d’Adam, devenus enfin conscients de leur sottise et de leur crétinisme généralisés renoncent au péché, parviennent à l’âge de raison, obtiennent le discernement entre le bien et le mal, la vérité et l’erreur, la grâce et la vanité. Alors, ils pourront s’exercer à l’immortalité, acquérir l’incorruptibilité, selon la promesse divine: « Celui qui garde ma parole ne verra jamais la mort…  » Tout ce qui fut bon, beau et vrai, le trésor secret que l’Eglise a gardé, trace inaltérable tout au long de son histoire, sera récupéré et multiplié jusqu’aux limites de la terre, jusqu’aux frontières de l’Univers.

Le Ressuscité ressuscitera son Corps Mystique. La gloire du Commencement  sera rendue à toute chair. Le couple humain tel qu’il fut au premier paradis, sera restauré dans l’unité de la foi, selon l’archétype de Nazareth. Saint Paul sera compris et obéi: « Je veux que vous le sachiez, dans le Christ Jésus, pas d’homme sans femme, pas de femme sans homme…  » L’harmonie de sexes s’établira avec la hiérarchie des Personnes Divines  sous la lumière inaltérable de la Sainte Trinité. [3] C’est pourquoi dans cette plénitude de bonheur et de vie,  le chant sacré s’épanouira jusqu’à devenir l’occupation courante la plus agréable qui se puisse concevoir.

Nous sommes au regret de ne pouvoir pour l’instant accompagner cet ouvrage de portées musicales.

 

[1] – neumes: notes liées par 2, 3 ou plus…

[2]  – J’évoque ici avant tout l’effort des religieux qui était en quelque  sorte mobilisés pour l’Office Divin. Mais cet Office était aussi chanté dans de nombreuses paroisses chrétiennes, par les simples « chantres »   au moins en partie. Car les curés avaient la charge d’enseigner au peuple le français, le latin, l’arithmétique et la musique.  Les antiphonaires se trouvent encore ici et là couverts de poussière et rongés en partie par les rats, dans les greniers des sacristies de certaines églises….

[3] – Voir mon ouvrage: « Retour au Paradis Terrestre », où j’expose la théologie du Royaume de Dieu comme Père, Royaume qui s’établira sur l’imitation de la sainte famille et sur la génération sainte dont l’archétype est celle du Christ.