Epitre de Saint Jean

L’abbé Joseph Grumel avait commencé l’étude de cette Épitre de saint Jean en écrivant cette introduction que je reproduis ici. Il n’a pu poursuivre cette tâche ; j’ai donc repris le flambeau et réalisé le commentaire ci-après. J’ai suivi le texte pas à pas, optant pour un style simple, conforme à l’écriture de Jean, n’hésitant pas sur les répétitions, comme il le fait lui-même. Le Message est si clair, qu’il inonde tout l’ouvrage !

Goûtons donc dès à présent « cette perle, la plus précieuse du Nouveau Testament » – après les Évangiles, il va de soi.

Introduction

Nous abordons peut-être avec cette première épître de saint Jean la perle la plus précieuse du Nouveau Testament. La lumière en est si pure, le rayonnement si transparent que beaucoup sont passés à côté de l’intelligence de ce texte. Ils trouvaient que « Jean répétait toujours la même chose », sous des formes différentes ; ils ont jugé que ses affirmations ressemblaient à des évidences somme toute assez simplistes, telles que : « Celui qui est juste est celui qui pratique la justice… », ou encore : « Aucun mensonge ne procède de la vérité… », ou même : « Dieu est lumière, il n’y a pas en lui de ténèbres ». D’autres ont été éblouis par ce texte, charmés par sa poésie ultra terrestre : ils ont pressenti qu’il émanait d’un monde qui n’est pas le nôtre, qu’il reflétait un ordre de vie, de paix, d’amour, de joie, dont aucune expérience d’ici-bas ne peut nous donner l’idée. Mais ils se sont contentés de soupirer, en exhalant leur espérance dans une prière qui n’osait pas réclamer cette « victoire de la foi », que l’apôtre Jean proclame  comme certaine, comme immédiatement accessible, et qui leur semblait encore impossible et utopique.

Y a-t-il là encore une clé pour découvrir le secret intime de ce texte, pour suivre la pensée de l’auteur non pas en tâtonnant ni en trébuchant – en laissant beaucoup de questions sans réponse – mais en la voyant par l’intérieur, par le même point de convergence et de cohérence, qui fera qu’elle nous apparaîtra aussi simple et naturelle qu’elle l’était pour lui ? Car, certes ! le style est simple, le vocabulaire rudimentaire, la phrase quasi  enfantine ! Jean voyait donc les Mystères de Dieu, c’est-à-dire le Mystère de la Vie, avec cette simplicité de l’enfant qui est digne d’être citoyen du Royaume.

Cette clé de l’épître nous l’avons si nous imaginons que Jean était le disciple bien-aimé, initié  par le Seigneur aux secrets célestes, à qui Jésus confia sa mère. Il vécut donc dans l’intimité de Marie. Pour elle, il n’avait pas de secret, comme elle n’en avait pas pour lui. Et Marie était femme, la plus belle et la plus simple, dont la foi nous a donné le Sauveur. Elle était immaculée, et, de ce fait, Jean pouvait apprendre en quoi consistait  ce « péché », qui fait que le monde tout entier « gît sous l’empire du Mauvais ».  Pour Marie, Jean eut accès – d’une manière si  concrète et si simple que nous ne pouvons même pas l’imaginer –  à cette « justice » parfaite qui faisait de Jésus le « bien-aimé du Père », objet de toutes ses complaisances. Si donc la foi de Marie, illustrant celle de Jean, nous guide dans la lecture de cette épître, nous aurons la lumière centrale, le point de convergence d’où rayonnent successivement les divers développements qui, dans le texte apparaissent, non pas au hasard, ni en désordre, mais s’enchaînant avec une implacable logique spirituelle, avec une géométrie rigoureuse, encore qu’elle soit très au-dessus des catégories mentales habituelles.

Cette épître fut écrite tardivement : dans le même contexte que les épîtres de la captivité, que les épîtres pastorales, ou encore celles de Jacques et de Pierre. Des individus se sont introduits dans l’Eglise, qui corrompent l’Evangile. Pierre les appelle « faux docteurs », Paul « faux frères » ou « faux circoncis ». L’Apocalypse les nommera « synagogue de Satan ». Ici Jean les traite de « faux prophètes » : ils  s’opposent  au Christ, ils sont l’émanation concrète et humaine de cette force diabolique nouvelle,  inattendue, qui s’appelle « l’Anti-christ ». En quoi consiste cette « corruption de l’Evangile » ? – Ils nient la filiation divine de Jésus, sa conception virginale par l’Esprit-Saint. L’enseignement moral de l’Evangile n’est pas contesté -du moins en principe- car « les commandements du Seigneur, ses miracles, nombreux et spectaculaires,  ne font aucune objection ! Qui ne convient que l’application de la morale évangélique serait la chose la meilleure du monde ?

Certes ! Mais l’application de la morale évangélique, qui n’est autre d’ailleurs que l’esprit du Décalogue, ne peut à elle seule rendre la vie à l’homme. Elle ne peut qu’améliorer sa condition terrestre. La vie éternelle, ou mieux la vie impérissable, dépend de tout autre chose que de la simple morale : elle dépend de l’instauration d’un Ordre nouveau dans lequel la créature humaine est reliée au Père non seulement par voie de création, mais par voie de génération. Nous qui sommes « nés de la chair et du sang », et qui, de ce fait, sommes conditionnés pour la mort, il nous faut, par grâce, devenir fils en Jésus-Christ. Tel est le plan du Salut. Et qu’est-ce que le Salut, sinon le retour à la pensée première de Dieu, pensée qui fut transgressée à l’origine, dès la séduction de Satan, menteur et homicide ?

C’est pourquoi Jean dit si formellement, et se donne pour but même de son Evangile : «Tout cela a été écrit afin que vous croyez que Jésus est fils de Dieu, et que croyant en son nom vous ayez la vie impérissable ». (Jean 20/31). La même pensée est sous-jacente à cette épître, pensée qui n’est autre que celle du commencement, et il n’y aura jamais rien d’autre à dire. Il ne peut y avoir de lumière plus grande que celle du Soleil de justice : c’est à nous de nous laisser éclairer par cette lumière, sans en être éblouis, jusqu’à ce qu’elle pénètre tellement en nous que nous ayons la vue cohérente de la pensée de Dieu, si divinement simple et qui dissipe véritablement  toute ténèbre.

Nous rejoignons ainsi la simplicité de Marie,  qui, étant « toute petite a plu au Très Haut », et qui, par sa foi est devenue Mère du Christ, Mère du Sauveur, Reine des Anges, Maîtresse des Apôtres.   Et comment obtint-elle  ces privilèges si élevés ? En tenant compte de sa virginité naturelle et sacrée. A l’Ange qui lui promettait une maternité royale et merveilleuse, elle objecta : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas l’homme ? » Elle est alors l’épouse de Joseph, mais elle ne le connaît pas au sens biblique de ce terme – comme « Adam connut sa femme » – : elle ne veut pas avoir de relation charnelle avec lui.  L’un et l’autre ont réservé à Dieu ce qu’il a fermé de sa main : le sanctuaire secret de la vie.

C’était simple ! Il suffisait d’y penser. Comment se fait-il que la leçon sublime du Monogène lui-même n’ait pas encore été comprise ? A cette lumière, entrons dans l’étude du texte de Jean, savourons l’enseignement qu’il contient, par lequel nous entrons dans le monde nouveau de la vie impérissable, de l’incorruptibilité qui nous est promise.

Abbé Joseph Grumel