Cantique des Cantiques

« Qu’il me baise des baisers de sa bouche… » (1/2)

Préface

Est-il possible d’exprimer quelque chose de nouveau sur le thème de l’amour, l’amour qui devrait unir l’homme et la femme ?  Tout n’a-t-il pas été dit et répété, chanté et orchestré ?  Depuis la chansonnette, jusqu’à l’opéra, de la comédie à la tragédie, dans les intrigues des romans, par le lyrisme du théâtre, ne cueille-t-on pas dans ce champ immense toutes les fleurs magnifiques… mais si vite fanées ?

De toujours les poètes ont chanté l’amour et la mort. Dans leur prose et leurs vers, comme les peintres sur leurs toiles, comme les sculpteurs dans leurs marbres, ils ont exprimé l’espérance toujours déçue d’une vie merveilleuse, qui porterait en elle la dilection, la tendresse ou la passion ; l’amour, toujours l’amour, qui fait palpiter les chairs, illumine les yeux, enchante, charme, enrichit, épanouit, exalte… mais pour un temps seulement.  Les cendres suivent les flammes ; les glaces des hivers ingrats succèdent aux chaleurs colorées des étés brûlants.  Quelle est l’histoire d’amour – Love Story – qui ne se termine par le creusement d’une fosse et la décomposition cadavérique ?

Tel est l’avis général des humains,  fruit de leur expérience millénaire.

Face à cette unanimité dans la désespérance, l’Esprit de Dieu, lui seul, dit : « Non ! ». La Parole de Dieu, gravée au sommet de l’Ecriture, atteste : « L’amour conduit à la vie ». Elle correspond à l’aspiration secrète des cœurs, à l’intuition qui ne saurait tromper, puisque, malgré tant de désillusions, les hommes n’ont pas renoncé à aimer. De même le Cantique des Cantiques oppose une contradiction formidable à l’expérience universelle du genre humain : il nous présente un amour qui grandit toujours, qui ne déçoit jamais, qui exalte une beauté que nulle ride, nulle tache ne viennent jamais flétrir. Alors quoi ? La démocratie donnera-t-elle raison au plus grand nombre ? L’avis de Dieu l’emportera-t-il sur les opinions désolées des hommes ? Le commandement du Père qui est « vie impérissable » (Jn.12/50) nous dira-t-il toujours que c’est un péché de mourir lorsque l’on a reçu le don de l’Amour ?

Car, jusqu’ici, tous les hommes meurent, aussi bien ceux qui ont aimé que ceux qui n’ont pas aimé,  aussi bien les saints et les prophètes que les pécheurs et les insensés, aussi bien les amoureux passionnés que les ermites solitaires… Cela ne signifie-t-il pas que tous se trompent ?  Ceux qui ont aimé sans scrupule, qui ont livré leur corps au plaisir avec des ardeurs incroyables, et ceux qui se sont abstenus de toute joie des sens, jusqu’à ne jamais lever les yeux sur une femme : les uns et les autres gisent aujourd’hui sous des monuments funéraires qui attestent leur erreur et leur faute devant les générations successives…  Erreur dans les deux cas : erreur dans l’amour, erreur dans l’abstention de l’amour, erreur dans la passion, erreur dans l’ascétisme, erreur dans la volupté, erreur dans la continence…

 

Nous n’en sortirons  donc jamais ?…

Le Magistère de l’Eglise a cru bon de canoniser de préférence ceux qui ont manifesté un héroïsme indéniable à vaincre la concupiscence, à dominer par une sévère maîtrise de soi les tendances glissantes de la lubricité. Elle a porté sur les autels les champions de la mortification et de la pénitence,  qui ont labouré leur chair par les fouets et les cilices. Mais les foules donnent la préférence à Roméo et Juliette ; elles s’enthousiasment pour celui ou celle qui risque tout pour l’amour : réputation, fortune, vie même. « Elle a beaucoup aimé, disait Jésus de Madeleine,  c’est pourquoi il lui sera beaucoup pardonné… ».  Les pharisiens ne comprenaient pas. Où est la sagesse ? Chez le théologien sérieux qui rationalise l’évasion hors de la chair ? Ou chez le poète qui écrit : « Plus d’amour, partant, plus de joie » ?

Mourir pour mourir, mieux vaut mourir après avoir aimé, plutôt que de voir son corps se dessécher dans la soif et se fossiliser avant d’être la proie des vers. Si le feu consume les chairs ardentes,  sous le souffle d’indicibles ardeurs, il consumera, à plus forte raison, le bois sec, les membre sclérosés de ceux qui ont enterré leur  unique talent. Quelle est la meilleure philosophie : « Aimons, car demain nous mourrons », ou bien « Refusons d’aimer puisque la mort frappe aussi les amoureux » ?  Dans les deux  cas, le résultat est le même. L’opéra, école de vie aussi bien que les meilleurs livres de spiritualité  ?… celui-là est d’ailleurs plus attrayant que ceux-ci.

La foi chrétienne jusqu’ici n’a pas résolu le problème, loin de là ! Elle ne fait que compliquer la situation: elle a cristallisé la désespérance du genre humain,  c’est pourquoi elle a été vomie par d’innombrables chrétiens. Elle affirme en effet que Dieu est bon, que l’homme a été créé par amour, par un Dieu qui est amour, qui veut la vie et le bonheur de ses créatures.  Bien  mieux : elle affirme que les hommes sont appelés à devenir fils de Dieu, jusqu’à l’invoquer sous le nom de Père. Elle leur a imposé, toutefois, en son Nom, des commandements qui ont paru exigeants, difficiles, voire impossibles : chasteté, continence, abstention du plaisir des sens, acceptation résignée de toutes les tribulations de la chair, de la mort même ;  interdictions de tout genre pour limiter, écarter, exclure la volupté.  Elle impose l’habit dit « religieux » : elle prescrit que le vêtement  ne doit pas monter au-dessus d’un minimum. Elle admet, cette foi chrétienne ordinaire, que le Seigneur a bien dit : « Le corps est plus que le vêtement » ;  mais elle condamne ceux qui le posent pour mettre leur peau au soleil. Elle enseigne avec l’Apôtre : « Dieu est amour »,  mais elle jette un regard soupçonneux et défiant sur ceux et celles qui osent  s’enlacer en public ou se donner, dans les squares, des baisers insolents… Cette foi chrétienne, conventionnelle, policée et délavée, admet encore, à la rigueur, que l’image de la Trinité peut être dans le couple humain, sinon elle renierait la première parole de l’Ecriture : mais elle donne sa préférence aux célibataires,  elle les exalte comme des héros, elle réduit à l’état laïc les prêtres qui veulent convoler en « justes noces » contrairement à l’engagement de leur sous-diaconat…

Alors ? Que penser ? Que dire ? Faut-il, pour vivre, rejeter la foi ? Faut-il garder la foi, pour mourir en paix et mériter l’avantage de la sépulture ecclésiastique ? Certes, elle ne saurait écarter la pourriture ni les vers,  ni même nous assurer de la résurrection, mais le mort a la satisfaction des honneurs  funèbres, bien qu’il ne puisse ni les voir, ni les entendre… Ah ! évidemment, la foi chrétienne nous assure de l’amitié de Dieu après la mort, du paradis après la mort, ou tout au moins d’un purgatoire ramené au strict minimum après la mort, elle nous assure aussi la vie éternelle après la mort..  Toujours après la mort.  Elle semble ne plus voir que le fait de la mort est une contradiction inquiétante, et, en quelque sorte, la négation de la bonté de Dieu.  Je parle de cette foi chrétienne ordinaire qui ne sait plus discerner ni la Justice, ni le péché. Elle nous assure de la résurrection, certes ; mais pour ressusciter, il faut mourir…

Et pourtant : celui qui a le pouvoir de ressusciter les morts, pourquoi n’aurait-il pas le pouvoir d’empêcher les vivants de mourir ? Lequel est le plus facile : de rendre la vie à une poussière dispersée par le vent, à un corps dissout dans les boues de la glèbe, ou bien de vivifier et de transformer des yeux allumés, des oreilles attentives, des mains agiles, des genoux solides, des cœurs bien rythmés, des os bien charpentés, un cerveau lucide, un organisme vigoureux et sain ?…Celui qui relevait les malades en leur rendant la santé, pourquoi s’arrêterait-il en route ? Pourquoi ces innombrables miraculés ont-ils été, par la suite, frappés par le vieillissement, la décrépitude et la mort ?…

Oui, Celui qui a le pouvoir de rendre la vie après la mort peut aussi empêcher les vivants de mourir, c’est indiscutable !  Alors pourquoi ne le fait-il pas ? Dieu n’a aucun intérêt à la mort de ses créatures. Dans le système actuel, il n’a aucun avantage, car il aura beaucoup plus de travail pour réveiller les cadavres et rassembler leur poussière, que pour arracher les actuels vivants à la morbidité et à la mortalité.  S’il peut rendre la vie au dernier jour, à ceux qui auront  cru en lui, qui l’empêche de conférer dès maintenant une vie pleine à ceux qui proclament son existence, sa bienveillance, sa toute puissance de salut et de rédemption ? Pourquoi toujours le « dernier jour »  et non pas le jour d’aujourd’hui ?

Qui empêche Dieu d’opérer dès maintenant cette victoire de la vie sur la mort ?

Voilà, effectivement, la seule question importante.

Qui empêche, qui paralyse le Dessein Sauveur de notre Dieu et Père, dont le commandement est « vie éternelle et impérissable » ? On comprend très bien que  Dieu soit obligé de laisser mourir les homicides, les adultères, les impies et les apostats : autant de transgresseurs qui se placent eux-mêmes volontairement sous les sentences : « Tu mourras de mort »… « Tu retourneras à la poussière dont tu as été tiré… » Mais quoi, le prophète qui parle en son Nom, le saint, qui poursuit ses veilles, l’ascète qui se macère dans la pénitence,  le mystique que l’extase initie aux joies célestes, pourquoi tous ces gens-là meurent-ils aussi ? Si Dieu est amour, pourquoi les amoureux meurent-ils à leur tour ?

Nous sommes donc, avec cette foi chrétienne ordinaire, qui n’est pas assez clairvoyante pour percer les mystères divins,  dans une extrême  confusion. Il faut le reconnaître. Cette confusion ne tient pas qu’au langage, même si l’on croit que le mot « amour » a un sens transcendant lorsqu’on l’applique à Dieu plutôt qu’aux hommes. La  confusion tient-elle à la mentalité, aux mœurs, aux coutumes de ce siècle ?

Devant les processus du vieillissement et de la mort,  les savants avouent leur incompétence ;  devant la mort du juste, les théologiens confessent leur embarras.  La mère qui perd son enfant lève un regard désolé vers le médecin et le prêtre : l’un et l’autre gardent le  silence. Faut-il admettre, lorsque s’éteint un honnête homme, que sa mort a commencé bien plus tôt : mais qui sait quand ? A l’âge adulte ? A l’adolescence ? A l’âge dit de « raison » ?  Peut-être à la naissance ?  A la conception ? Peut-être même avant la conception : la mort était déjà au travail dans le lit conjugal, aussi bien que dans les mentalités des géniteurs, les conseils des confesseurs et les avis du médecin.

Le dessein de Dieu est Vie : la chose est indiscutable. Alors que faut-il rectifier dans la conduite des hommes -ses créatures de prédilection- pour qu’elle se conforme enfin à ce Dessein de Dieu ? La chose est-elle possible ? Rectifier la conduite des hommes ? … Est-il possible de tailler une piste dans cette forêt épaisse des vieux atavismes, des tendances obscures,  des réflexes mal conditionnés, des consciences endormies ?  Est-il possible de renverser les remparts du scandale, entassés par d’innombrables conventions artificielles, où les hommes, tout désemparés qu’ils soient, cherchent à se justifier à leurs propres yeux ? Faut-il redresser, l’une après l’autre, toutes les fibres tordues du coeur et des moelles, des viscères et des neurones, pour qu’un organisme sain puisse se conformer enfin et sans effort à la souveraine loi divine… qui reste encore à préciser, qui nous est encore inconnue ?…

 Il y aurait lieu d’être découragé – et même désespéré –  devant l’ampleur d’une telle  tâche :  mieux vaudrait se distraire par quelque voyage ou quelque spectacle,  goûter des yeux la beauté de la terre, avant qu’ils ne se ferment, entendre quelque chant avant que les oreilles ne s’assourdissent… Au moins nous n’aurions pas perdu tout notre temps…  Cependant il demeure l’encouragement formel du Seigneur : « Cherchez et vous trouverez… » Aussi par l’assistance de son Esprit, nous sommes assurés que les promesses du Christ ne sont pas un défi, mais une certitude. Le tout est de professer une foi clairvoyante,  qui donne un assentiment parfait à l’immuable Dessein de vie que la Sainte Trinité a posé comme le fondement de la Création.

Donc il faut aimer puisque Dieu est Amour.  Toutefois, quel est l’homme qui saurait aimer sans angoisse ? Quelle est la femme qui, sentant sur elle les yeux d’un prétendant à ses charmes, s’avance sans trembler vers le jardin de délices ? Elle le sent peuplé de fauves et de rapaces,  de vampires, de serpents, d’araignées sordides, de scorpions venimeux, tous  cachés dans les taillis et sous les feuilles, aux aguets, silencieux, avides, ironiques et railleurs. Quel est le couple qui se fie à l’amour, vers l’espoir du bonheur, sans songer aux expériences déplorables des générations antérieures,  aux avertissements des sages, aux hasards et aux nécessités d’une progéniture incontrôlable ?  Sous les lèvres des amis, des sourires narquois, des approbations épicées de réticences, des souhaits assaisonnés de regrets… Les amoureux tremblent devant le sur-moi social souriant et énigmatique, comme ces bouddhas accroupis, qui ont choisi l’immobilité de préférence au mouvement, comme ces saints de plâtre, solitaires et figés, qui semblent dire : « NON » à toute aventure sur le terrain fleuri, mais mouvant, des délices charnelles. Quel est l’homme qui n’est envahi d’une soudaine et incoercible amertume lorsqu’il a consommé l’union qu’il convoitait comme le sceau de son désir de bonheur ? Contrairement à ce que prétendent les sexologues pédants, il n’y a pas d’union sexuelle réussie. Les amoureux sont toujours décontenancés, les époux inquiets, les libertins et les paillards écoeurés.  Le plaisir, si intense qu’il soit, ne fait jamais oublier cette gêne, cette culpabilité, cette accusation que l’institution légale du mariage chrétien ne peut  écarter complètement.

Ceux qui consomment le mariage mangent la mort à pleines dents ; l’amour  charnel a une odeur de corruption : « Si vous vivez dans la chair, vous êtes sur le point de mourir » avertit saint Paul (Rom. 6/7).  Lorsque le sang coule dans le lit,  la meilleure des spiritualités conjugales s’effondre. Alors quoi ? La chair est-elle ainsi faite qu’elle porte en elle un péché obligatoire ? Ou bien y a t-il dans la conscience et le comportement humains non pas un « péché de la chair », mais un « péché contre la chair » ?  Un péché qui détruit la chair,  normalisé par les lois, prescrit par les théologiens (!), rationalisé par la force des habitudes ancestrales ? Un péché qui fait perdre à la chair sa grâce d’abord, sa santé ensuite, et sa vie enfin ?  Ce péché n’est-il pas d’abord une impiété généralisée, une ignorance démocratique compacte, qui nous empêchent l’accès au dessein de Dieu inscrit dans la chair, que sa Parole nous révèle,  et que la foi seule peut réaliser par l’amour ? … Il faut préciser le sens de ce mot ?…

Que voulait-il dire, l’Apôtre des nations, lorsqu’il écrivait aux Galates, afin de les ramener, par delà la loi, à l’enseignement évangélique fondamental : « La circoncision n’est rien, l’incirconcision n’est rien, ce qui compte, c’est la foi qui opère par  l’amour »  ?

 « La foi qui opère par l’amour… »

Nous voyons apparaître dans le ciel encor obscur de la conscience chrétienne, la lumière diffuse, mais réconfortante, de la Trinité Sainte.  Le dogme vénérable de la Trinité cesse d’être enfoui dans les livres des théologiens, dans les thèses des écoles : il descend dans les foyers et dans les alcôves.  Ceux qui s’aiment vraiment, avec la préoccupation d’être agréables à Dieu, commencent à rapporter leur bonheur à sa véritable source, leur  recherche de communion  à l’Unité indéfectible de l’heureuse Trinité.  C’est là une grande victoire.  De même que le Père et le Verbe ne sont qu’un dans le même Esprit d’amour et de connaissance, lequel procède de l’un et de l’autre, ainsi l’homme et la femme, dans un don mutuel de personne à personne, éprouvent la vérité de leur foi jusqu’au profond de leurs entrailles. C’est dans la chair humaine que s’inscrit la Théologie  vivante et efficace.

 

Toutefois, ce point ne suffit pas. Car celui qui veut être sauvé doit confesser non seulement la Trinité Sainte, mais il doit croire aussi  à l’Incarnation de notre Seigneur Jésus, Verbe de vérité.  Qu’est-ce à dire, croire en l’Incarnation ?… Le mot est difficile, forgé pour simplifier les choses, croit-on. En fait, il résume l’enseignement évangélique premier et fondamental,  celui qui a réjoui les Anges lors de la nativité de Jésus.

L’incarnation,  c’est le Verbe de Dieu qui descend dans notre nature humaine,  non point de semence d’homme, mais par fécondation divine,  par l’Esprit de Sainteté suscitant la vie dans les entrailles virginales de Marie. C’est ainsi qu’il vient nous sauver : « propter nos homines, et propter nostram salutem ».  Nous sauver de quoi ? Eh bien, justement d’une génération adultère et pécheresse qui a transgressé le commandement premier. Quel commandement ? Celui par lequel Dieu se réservait, pour la créature humaine, la paternité. Quelle logique, quelle bienveillance, quelle  sagesse dans le plan de notre Dieu ! Il n’a pas  voulu que l’homme fut abandonné aux lois ténébreuses du hasard – et de la nécessité – dans cette œuvre de la génération.  Que chez les animaux, créés selon leurs espèces,  cette loi joue, c’est bien :  un chat  vaut un chat, un cheval en vaut un autre.  Mais il est pitoyable de voir le genre humain alourdi par ces tares de génération, qui, de nos jours, s’amplifient dans des proportions effrayantes. C’est cela, justement, que Dieu n’a pas voulu. C’est pour cela qu’il a établi à l’origine la femme vierge. C’est pour éloigner de nous une telle multiplication de malheurs qu’il nous a parlé par le Fils, lumière du monde, qui éclaire tout homme « en faisant son entrée dans le monde », c’est-à-dire en naissant d’une vierge et en consacrant sa virginité par sa naissance.

Voilà l’Evangile fondamental, la Bonne Nouvelle primordiale.

Alors, que devons-nous en conclure,  si nous voulons être entièrement logiques avec notre foi ? Nous faut-il laisser à Dieu la paternité, pour une fécondation du sein virginal par son Esprit ? Certes ! Celui qui a créé l’Univers serait-il embarrassé pour rendre fécond le sein d’une femme ? N’a-t-il pas suscité la vie déjà chez des femmes stériles et avancées en âge, contrairement à toute attente, à toute possibilité génitale dite « normale » :  Sarah, Rebecca, Rachel, Anne, Elisabeth… ? Qui peut empêcher Dieu de faire naître un de ses fils, une de ses filles, dans les entrailles d’une jeune vierge, en pleine santé ? Et si l’acte de foi essentiel n’était autre, en définitive, que celui-ci ? Je veux dire l’acte de foi capable de nous justifier aux yeux de Dieu le Père ? Abraham n’a-t-il pas été justifié lorsqu’il crut que Dieu lui donnerait un fils pas Sarah sa femme, alors qu’humainement parlant la chose était avérée impossible ?  Oui, tel est  bien l’enseignement de la Genèse au chapitre XV et de saint Paul  dans son chapitre IV de l’épître aux Romains.

Certes, la nature déchue offre un spectacle universellement affligeant ; mais d’où viennent tous les problèmes humains sinon d’une démographie galopante ? Et d’où vient la démographie, sinon de la génération ? Or universellement, l’homme convoite pour lui la paternité et la femme désire, prématurément, une maternité, si douloureuse soit-elle. Et en même temps, ce même genre humain limite les naissances par toutes sortes de procédés artificiels, et extermine les fruits de sa prolifération sous des armes terrifiantes. Est-ce logique ?  Voilà le monde sans foi, lié aux ténèbres,  étranger à la Parole de Dieu.

Inversement, la foi évangélique nous incite en toute rigueur à laisser à Dieu son Nom de Père, car il est tout puissant en paternité. Il convient  de laisser la génération à Celui seul qui est assez sage  et clairvoyant pour en prévoir le résultat.  Il convient de laisser l’initiative de la vie au Dieu vivant. Voilà la logique de la foi. Ce qui signifie que la sexualité humaine a un tout autre sens que la reproduction par le jeu géométrique des gènes et des chromosomes. La sexualité génitale serait donc une erreur monumentale et universelle ? Certes !  Jésus  fils de vierge est seul juste ; il a raison contre la multitude des fils d’Adam.

Alors il y a donc une sexualité virginale ? C’est-à-dire une acceptation de tous les arbres du jardin, de toutes les joies de l’amour, à l’exclusion de l’arbre défendu, à l’exclusion de ce qui, en général n’est pas une  joie  mais plutôt une souffrance et une  effusion de sang : l’ouverture  du sein par la déchirure de l’hymen. La seule chose à éviter serait  donc la seule chose que la morale des nations autorise, avec l’appui de nombre de théologiens ! Quelle étonnante révolution ! Quel bouleversement radical !

Voilà bien une hypothèse plus audacieuse que celle de Copernic qui, contrairement à l’opinion générale, plaçait le Soleil au centre du monde, et osait détrôner la terre ! L’Univers devenait enfin logique lorsque l’on passait des  apparences à la réalité.  De même ici, cette hypothèse nous introduit dans la  logique divine du Verbe de Dieu, elle fait resplendir toute l’Ecriture et tout spécialement le Cantique des Cantiques. Les anciennes paraboles et les énigmes des livres saints sont éclaircies.  Et lorsque l’on projette le Soleil de cette foi sur ce vieux texte, qui fascina tant de saints et de mystiques, texte venu du plus profond des âges, collationné par les scribes de Salomon, voici qu’il resplendit comme un collier de perles précieuses, comme une rivière de diamants.  Nous entrons en relation avec un monde à la fois disparu et tout nouveau, avec une psychologie transcendante à celle de ce monde-ci,  où l’erreur et le mensonge commandent la morale et la conduite. Le Cantique des Cantiques est la charte de l’alliance virginale, à laquelle est liée la promesse de la vie,  qui nous est donnée par Jésus, fruit béni des entrailles intactes: « Celui qui garde ma parole ne verra jamais la mort ».  (Jn. 8/51)

Il nous faut donc poser cette hypothèse étayée par la foi, au delà des apparences de ce vieux monde qui roule à sa perte et qui cherche à s’étourdir par le divertissement. Hypothèse d’autant plus valable qu’elle a déjà produit un fruit merveilleux en Jésus le plus beau des enfants de hommes « plein de grâce et de vérité » (Jn. 1/18).  Un homme, une femme ont dépassé l’ordre de la Loi et du péché : Joseph et Marie. Ils ont triomphé dans une victoire indicible, que le monde ne veut pas croire parce qu’il n’en est pas digne ; ils ont connu l’assomption de leur chair, ils ont échappé au piège de la mort, ils n’ont pas connu la corruption cadavérique. Leur fils, le fruit béni de leur union virginale,  qui fut mis à mort par la génération adultère et pécheresse, pour le motif qu’il s’affirmait fils de Dieu, a vaincu la mort par sa résurrection.  Que voulons-nous de plus ? Qui, devant de tels faits, devant une telle démonstration de vie,  hésiterait encore à saisir les joies que le Père a disposées dans son œuvre même ? Et s’il suffisait de respecter intelligemment et dans l’adoration, la virginité ?

 Celui qui a l’expérience de la génération charnelle, que ce soit dans le mariage, ou hors du mariage,  aura peut-être quelque difficulté à concevoir qu’il y a encore un trésor caché dans le champ de la sexualité, qu’il croit avoir labouré en tous sens.  Il croit savoir quelque chose, surtout si certain livre de sexologie ou psychologue l’ont confirmé dans la vieille erreur par les théorèmes du désespoir. Il aura de l’embarras à revenir au principe, ce qu’il ne peut faire qu’en se reniant lui-même. « Celui qui ne hait son père, sa mère, ses enfants et même sa propre vie… »

L’homme et la femme vierges, encore timides et tremblants devant les terres mystérieuses de l’amour, hésiteront-ils à adopter une direction si contraire au comportement général des fils d’Adam ?

Mais ceux qui ont l’expérience de la sexualité virginale et eucharistique pourront dire ce qu’aucun prophète, dramaturge, psychologue – y compris théologien… n’ont pu prévoir : la précipitation de la créature humaine dans la sexualité génitale et la génération charnelle la frustrent  du Paradis.  Il s’agit bien du Paradis : car le bonheur suprême que l’on désigne par ce mot est inscrit en nous, dans toutes les fibres de notre chair. Il suffit seulement que l’homme et la femme atteignent la transparence mutuelle en laissant le Dieu Vivant se réjouir en eux : leur faire la confidence de son enthousiasme créateur et de son bonheur intrinsèque. Oui,  la joie intrinsèque de la Trinité Sainte, qui échappait même aux Anges, peut resplendir dans la trinité créée : l’homme et la femme, unis dans un amour clairvoyant et dans une foi pleinement consciente de la valeur de la nature virginale.

Voilà donc ce « commencement » auquel il nous faut toujours revenir, cet « Alpha » qui est aussi « l’Oméga ». La femme, en effet, demeure, aujourd’hui comme hier, créée vierge.  Elle le sera demain. La foi nous fait rejoindre ce paradis qui existait avant Assur : avant que la génération charnelle ait surpeuplé la terre de ces civilisations aussi croulantes que brillantes, de ces royaumes dont Satan se glorifie encore, mais pour peu de temps. Voilà la conversion profonde, la pénitence radicale à laquelle nous convie l’Evangile. Alors seulement le Cantique des Cantiques perd ses ombres de tristesse, sa nostalgie inquiétante ;  alors aussi tombent les obscurités du texte,  les mots rares qui s’y rencontrent retrouvent  un sens que l’on croyait perdu. Avec la clé de l’Amour Virginal, les versets les plus énigmatiques s’épanouissent comme des fleurs au Soleil, révélant ces choses anciennes et nouvelles, ces paraboles qui étaient cachées dès la création du monde. (Mt. 13/34-35).

Elle existe certes la cohérence,  la logique de la Pensée de Dieu ! Elle existe en Lui et dans le Christ ! Mais elle ne nous apparaît pas encore parce qu’elle n’est pas réalisée sur la terre. En raison de la prolifération qui procède de la génération charnelle, personne ne prend plus le temps d’aimer selon le cœur de Dieu. Personne ne sait plus lier les minutes, les heures et les jours à la stabilité de l’Eternel. Les amours humaines coulent comme de l’eau dans les sables de l’ignorance ; ceux qui veulent s’y abreuver ne tardent pas à mourir de soif. Inversement, un amour enraciné dans le cœur de Dieu, appuyé sur la foi, qui respecte l’alliance virginale première,  ne glisse plus sous la tyrannie du temps,  ne s’enlise plus dans la durée irréversible.  Il grandit, au contraire, et en s’affermissant chaque jour dans la Vérité, il produit ce que l’on peut espérer de lui : la vie, jusqu’à sa plénitude.

Beaucoup de saints ont pressenti cela :  ils ont aimé en respectant la virginité. Toutefois, sauf du temps des Apôtres et des premiers disciples directement instruits pas Jésus et Marie, ils ont refusé de se servir de leur corps pour sacraliser cet amour qui brûlait en eux. Ils ont, pour la plupart, considéré la femme, sa grâce et ses charmes, comme une « chose à éviter ». Les femmes elles-mêmes, que l’on a mises sur les autels, en raison de l’héroïcité de leurs vertus, se sont comportées comme  si elles étaient asexuées : elles ont délaissé leur propre féminité, leurs seins, leurs entrailles, elles ont méprisé leur propre chair ; leur peau, toujours cachée par le vêtement comme un objet impur et lubrique… Un tel refus, quasi général dans la spiritualité chrétienne, de l’œuvre de Dieu, du  chef d’œuvre de ses mains, a écarté les meilleurs de la vie quelle que fût par ailleurs leur charité. Tous sont morts. Si, pour l’un ou l’autre, Dieu a consenti à préserver leur cadavre de la putréfaction, c’est pour authentifier la voie sainte –  mais encore incomplète – qu’ils ont suivie.

Comme sainte Thérèse, ils ont suivi de « petites voies » : celle des vertus morales – humilité, pauvreté, obéissance… Ils n’ont pas osé se lancer dans la voie royale, celle dont Marie nous  donne l’exemple, elle qui fut mère et épouse tout en demeurant vierge, elle qui fut enlevée dans la gloire, dans la transfiguration de sa chair le jour de son Assomption.

C’est donc cette voie que nous suivrons : elle n’est pas plus difficile, elle est seulement combattue avec rage par les puissances infernales. Nous considérerons la femme, dans sa beauté et sa grâce, dans sa féminité et sa virginité,  comme « l’Arche d’Alliance ». Elle l’est, en effet. La femme est la réceptacle  de l’Alliance : oui, de l’alliance spirituelle avec le Dieu vivant, sinon  elle tombe sous le pacte du Tentateur qui, dès le principe, la précipita dans la fosse avec son homme. « Etroit et resserré le sentier qui conduit à la vie, large et spacieuse la route qui conduit à la perdition : la multitude s’y engage ». (Mt.7/13-14) L’alliance, ou le pacte, se conclut avec la femme et sur la femme : une alliance divine à l’origine de notre Salut par la génération du Christ, ou bien un pacte diabolique qui nous exclut du paradis. Vierge sainte, fécondée par l’Esprit, mère admirable…  ou bien alors profanée, violée. Telle est la femme, tel est le choix qui s’impose nécessairement. Et celui qui hésite devant ce choix, qui refuse de le poser, l’eunuque qui s’abstient, la jeune fille qui vieillit sans amour, n’étant ni froids ni chauds, ni vrais ni faux, restent la proie du prince des ténèbres, et s’écroulent dans la mort. (Apoc. 3/16)

Toutefois cette solution d’attente qui fut celle des règlements ecclésiastiques, avait au moins l’avantage d’une sage prudence. Les prêtres de Jésus-Christ en s’abstenant du contact de la femme, ont préféré mourir de solitude  en condamnant le comportement erroné de ce monde, plutôt que de participer au déferlement de l’iniquité. Mais cette timidité cléricale n’a pas obtenu l’accomplissement des promesses ; elle considérait la mort comme inévitable. On ne peut croire aux promesses de Jésus, si formelles, que si l’on est vraiment  engagé concrètement dans la voie excellente : celle de « la foi qui opère par l’amour ».

Nous levons donc les yeux vers cet avenir tout proche maintenant : la conscience chrétienne va enfin se réveiller, découvrir que son espérance était à sa portée : que la proposition divine était dans sa bouche et dans son cœur. Il suffit seulement d’appliquer la doctrine la plus apostolique,  la plus traditionnelle, la moins contestable, celle qu’ont sanctionnée les canons des conciles et les décrets du Magistère : celle qui est chantée tout au long de l’année liturgique, aux fêtes de la Nativité, de la Circoncision, de la Chandeleur… par les innombrables hymnes, cantiques, antiennes et répons des festivités mariales. « Heureuse es-tu, toi qui as cru.. » Si Marie est heureuse parce qu’elle a cru, qui nous empêche de croire comme elle,pour que nous soyons heureux de la même manière ? Si elle se définit elle-même en disant : « Je suis l’immaculée conception », n’est-ce pas pour nous apprendre que tout notre mal vient de ce que nous, nous ne sommes pas immaculés dans notre conception ?  Alors que faire, sinon rectifier par notre foi les désordres engendrés par notre incrédulité ? Si elle est le modèle d’une génération sainte, pourquoi hésiterions-nous à suivre « celle qui enfante saintement » ? N’est-ce pas en semant de bonne graine que l’on peut espérer recueillir un fruit sans tare ? Et si l’Esprit nous est communiqué,  son désir n’est-il pas justement  de susciter dans cette arche d’alliance qu’est le sein de la femme, dans cette coupe naturelle, des fils et des filles intègres, saints et immaculés devant Dieu leur Père, et qui soient la couronne de la joie sans mélange de leurs parents ? « Heureux est-il le père du juste… » Oui, alors, nous pourrons parler de « pro-création » et non plus de reproduction. Nous verrons ce qu’est la logique et la cohérence de la pensée de Dieu, et nous rejetterons avec horreur ce que les anciens circoncis ennemis de Paul considéraient comme leur gloire.

C’est pourquoi, c’est avec une espérance immense et vivante que nous lisons le Cantique des Cantiques, comme le chant de l’amour virginal et eucharistique,  alliance première et éternelle, inscrite au plus intime de notre nature, et ratifiée par Verbe de Dieu fait chair.

De ce fait le texte revêt une splendeur incomparable, une richesse étonnante, qu’aucun commentaire ne saurait épuiser. A vrai dire, lorsque d’ici quelques années, ceux qui auront vécu l’alliance virginale du Cantique, auront triomphé dans la victoire du Christ, dans une génération sainte et la vie impérissable,  ils n’auront plus besoin d’aucun commentaire.  Ils seront eux-mêmes les réalisations vivantes de la Parole immuable et éternelle,  ils seront des louanges de gloire pour le Père, dans la communion  et la fécondité de l’Esprit.